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Comment les personnes inspirantes peuvent contribuer à la réussite d’une carrière, quel que soit le secteur d’activité.

Une conversation avec Indira Moudi, copropriétaire et directrice générale de Viandes Lafrance, à Shawinigan (Québec)

Indira Moudi

De nombreux entrepreneurs acquièrent les connaissances dont ils ont besoin pour lancer leur entreprise en travaillant d’abord sur le terrain pour quelqu’un d’autre. Indira Moudi, une cliente de longue date de BDC, a pris un chemin très différent. Elle a mené des carrières couronnées de succès en entreprise et en tant qu’entrepreneure, dans deux secteurs très différents. 

Diplômée en génie industriel de Polytechnique Montréal, Indira a commencé sa carrière comme ingénieure sur le terrain dans le secteur de l’énergie. Elle a ensuite gravi les échelons jusqu’à des postes de direction, pour finalement devenir présidente régionale de Baker Hughes, l’une des plus grandes entreprises de services pétroliers au monde. Au cours de ses 20 ans de carrière dans le secteur de l’énergie, elle a vécu et travaillé dans le monde entier, notamment en Afrique occidentale et centrale, en Europe, aux États-Unis, au Canada et en Inde. 

La suite de sa carrière l’a conduite à Shawinigan, au Québec – à deux heures de route au nord de Montréal, ou au sud de la ville de Québec – où elle s’est installée pour diriger Viandes Lafrance, une entreprise de transformation alimentaire qu’elle a acquise en 2012 avec son mari, le Dr Guillaume Pham. Indira est présidente et directrice générale de l’entreprise, dans un secteur d’activité qui présente une similitude notable avec le secteur de l’énergie : ces deux industries sont majoritairement dirigées par des hommes.  

Indira a travaillé dur pour changer cela, à la fois comme modèle et comme leader. Elle a contribué au recrutement et à la promotion de jeunes ingénieures et techniciennes dans le domaine de l’énergie et, dans sa propre entreprise, elle a délibérément fait en sorte que son personnel compte 20 % de femmes. 

Elle m’a récemment rencontrée pour me parler de son histoire hors du commun et des modèles qui ont contribué à façonner son propre parcours professionnel, l’inspirant à relever de nouveaux défis, à apprendre de nouvelles choses et à apporter son appui aux autres en cours de route. 

 

Il est fascinant de constater que vous êtes passée du statut de cadre international dans le secteur de l’énergie à celui de propriétaire d’une PME de transformation alimentaire en pleine campagne québécoise. Comment cette transition s’est-elle faite?

À 18 ans, j’ai dit à ma mère que je posséderai ma propre entreprise, et c’est la principale raison pour laquelle j’ai étudié le génie industriel à Polytechnique de Montréal. Il n’est pas surprenant qu’après avoir travaillé pendant cinq à six ans pour une société, j’ai envisagé de diriger ma propre entreprise.  Au début, je me voyais bien à la tête d’une entreprise en démarrage. En 2004, tout en travaillant à plein temps, j’ai lancé African Suppliers, qui fournissait aux entreprises africaines une expertise en matière de contrôle de la qualité, de ressources humaines et de gestion de projet. J’ai constaté que les choses n’allaient pas assez vite pour moi, et j’ai réalisé qu’en acquérant une entreprise existante, je pouvais m’y mettre directement et avancer plus rapidement. 

En 2008, j’ai commencé à rechercher activement des occasions d’affaires. Je suis venue au Canada avec mon mari, et nous avons visité une quinzaine d’entreprises de la Mauricie, au Québec, par le biais de la SADC (Société d’aide au développement des collectivités). J’avais décidé de fonder une famille dans la quarantaine, et mon mari et moi voulions avoir nos enfants au Canada. Je n’avais pas d’exigences particulières sur le secteur; je ne voulais rien de trop petit, et je voulais quelque chose qui me mette au défi. 

Après des années de recherche, l’occasion s’est présentée en 2012 avec cette entreprise familiale qui était en bonne santé financière et qui avait des propriétaires compétents. Le marché de la production de viande était en pleine croissance et, bien que nous ne connaissions rien à l’industrie agroalimentaire, nous étions convaincus que c’était une occasion à saisir. Nous nous sommes vraiment bien entendus avec le propriétaire de l’entreprise, dont nous sommes d’ailleurs encore très proches aujourd’hui, et nous lui avons fait une offre.

« En réalité, cela a été l’une des années les plus chargées de ma vie. Au cours de cette année, j’ai donné naissance à mon premier enfant, j’ai acquis la société et j’ai commencé à occuper un poste de direction en tant que présidente régionale de Baker Hughes en Afrique centrale. »

Alors, c’était tout? Vous avez quitté le secteur de l’énergie pour vous consacrer à plein temps à Viandes Lafrance?

En réalité, cela a été l’une des années les plus chargées de ma vie. Au cours de cette année, j’ai donné naissance à mon premier enfant, j’ai acquis la société et j’ai commencé à occuper un poste de direction en tant que présidente régionale de Baker Hughes en Afrique centrale. Dans le secteur de l’énergie, ce poste chez Baker Hughes représentait l’un des sommets de ma carrière, et il m’était impossible de le refuser. Mon mari m’a dit : « Ma chère, tu es une femme de carrière, accepte ce travail et je m’occuperai de l’entreprise ». Nous avons donc mené ces deux activités en parallèle pendant quelques années.

Pendant cette année, nous avons eu beaucoup de choses à faire, et honnêtement, je n’aurais pas pu le faire sans l’aide de ma famille. Mes parents, tous deux médecins récemment à la retraite, m’ont aidée en prenant soin du bébé pendant que j’allais travailler. J’ai vu ma mère travailler et élever une famille, et je savais que je pouvais faire les deux, grâce au merveilleux modèle que j’avais en elle. En fait, mes deux parents ont toujours été des modèles pour moi.

C’est merveilleux de pouvoir grandir avec des modèles forts dans son propre foyer. En dehors de cet équilibre entre carrière et éducation, y a-t-il d’autres choses que vous avez apprises d’eux et qui ont influencé votre propre parcours?

Tout à fait. Je suis née en Algérie, je suis deuxième de trois filles et j’ai été élevée dans huit pays différents. Ce n’est que lorsque j’ai eu 16 ans que mes sœurs et moi nous sommes installées à Montréal, mais mes parents ont continué à voyager pour leur travail. J’avais des racines dans tellement de pays différents que je n’ai jamais eu peur de me déplacer, de relever de nouveaux défis, d’apprendre de nouvelles choses partout où j’allais, ou d’embrasser la diversité.  

Mes parents ont tous deux joué un rôle de premier plan dans leur carrière. Ils ont compris mon dynamisme et mon ambition et m’ont soutenu tout au long de mon parcours. Cela a eu un impact certain. Le premier emploi que j’ai occupé était un poste d’ingénieure de terrain au Nigéria pour Schlumberger, une entreprise multinationale de technologie travaillant dans le secteur du pétrole et du gaz, et trois ans plus tard, j’ai obtenu un poste de direction au Gabon. 

Ma fille aînée étudie l’ingénierie et je trouve surprenant de voir aussi peu de femmes inscrites dans ce programme, encore aujourd’hui. J’imagine que lorsque vous avez commencé, à la fin des années 1990 et au début des années 2000, le secteur était encore plus dominé par les hommes? 

Oui, mais le secteur mondial de l’énergie était très conscient de la nécessité d’attirer davantage de diversité. Le secteur en particulier était en plein essor, et Schlumberger était très avant-gardiste en matière de recrutement et de formation des femmes. En fait, en 2002, on m’a demandé de travailler au service des RH de Schlumberger, dans le domaine du recrutement, avec pour mission de rechercher davantage de personnes comme moi. Ce poste m’a conduit à Paris, où j’ai rencontré mon compagnon de vie, et pendant ces années, j’ai pu engager, avec mon équipe de 12 recruteurs, plus de 3 000 nouvelles recrues par an pour l’entreprise. 

C’est impressionnant! J’imagine qu’avec votre propre succès, vous étiez un modèle très inspirant pour les femmes qu’ils espéraient attirer.  

Oui, et j’ai senti qu’il était de mon devoir d’être ce modèle. Au cours de ma carrière dans le secteur de l’énergie, de nombreuses personnes ont participé à l’avancement des femmes leaders, puis c’était à notre tour de faire de plus grandes choses, d’aider d’autres femmes à progresser et d’être des modèles pour la prochaine génération de femmes dans le secteur.

« Chez Lafrance, nous avons non seulement augmenté la représentation des femmes dans nos effectifs à 20 %, mais nous sommes également passés d’une seule nationalité dans l’entreprise au début, à 12 aujourd’hui. »

Qu’en est-il dans votre rôle actuel, dans un autre secteur dominé par les hommes? 

C’est le même dévouement qui m’anime. En tant que femme et membre d’une minorité à Shawinigan, je crois qu’il est de ma responsabilité d’ouvrir la voie aux autres. Je ne suis pas arrivée là où j’en suis aujourd’hui sans aide ni soutien, et plus j’aide et encadre les autres, plus je me sens épanouie. Qu’il s’agisse d’aider les filles de mes amis qui poursuivent des études d’ingénieur, d’encadrer mon équipe à Lafrance ou de participer à des groupes d’experts ou à des événements, je consacre toujours du temps aux autres. 

Et cela va au-delà du genre. Chez Lafrance, nous avons non seulement augmenté la représentation des femmes dans nos effectifs à 20 %, mais nous sommes également passés d’une seule nationalité dans l’entreprise au début, à 12 aujourd’hui. Pourtant, notre effectif compte seulement 40 personnes. Je peux vous dire que la création d’une entreprise diversifiée n’est pas une mince affaire. Trouver les bonnes personnes et faire en sorte que tout le monde se comprenne et travaille ensemble demande du courage et de la patience, mais c’est la bonne voie vers la prospérité et l’inclusion.  

Compte tenu de votre expérience, quels conseils donnez-vous aux autres femmes qui souhaitent emprunter une voie similaire à la vôtre? 

Le conseil que je donne aux autres femmes est le même que celui que je donne à mes propres enfants : lorsque vous tombez, relevez-vous et allez de l’avant, avec courage et résilience. Rêvez en grand et poursuivez votre rêve. 

Je crois aussi qu’il est important que les femmes sachent que le temps de l’épuisement est révolu. J’ai pu mener toute cette carrière sans m’épuiser, et c’est parce que j’ai pris le temps de prendre soin de moi, à la fois physiquement et mentalement. Je demande de l’aide et j’accepte de l’aide, car aucun de nous ne peut y arriver seul. En particulier, si vous souhaitez vous concentrer sur votre carrière, fonder une famille et élever un enfant, il est essentiel de disposer de l’aide et du soutien adéquats. 

En tant que femme de carrière et mère, je tiens à exprimer une autre réflexion sur la maternité : nous ne sommes pas mères uniquement pour avoir donné naissance, mais aussi lorsque nous nous occupons d’enfants. Beaucoup d’enfants dans ce monde ont des parents qui sont absents de leur vie quotidienne, pour quelque raison que ce soit; pour moi, c’est une grâce d’avoir des neveux, des filleuls, des enfants de la famille ou d’amis dont nous pouvons nous occuper et qui nous considèrent comme leurs mères ou leurs tantes. Dans certaines cultures africaines ou indiennes, par exemple, il est très naturel d’élever un enfant qui ne vous appartient pas. Si au cours de notre carrière de femme, nous ne pouvons pas donner naissance à un enfant pour une raison quelconque, la possibilité de s’occuper d’autres enfants est vraiment une source d’épanouissement. Mon père a toujours dit que nous ne sommes pas uniquement le fruit de l’éducation de nos parents, mais aussi de la contribution de nos professeurs, de nos voisins et de la communauté qui nous entoure. Il faut un village pour élever un enfant.   

J’ai consciemment choisi d’avoir des enfants à la quarantaine parce que je voulais me concentrer sur le développement de ma carrière, et aussi parce que je voulais être en mesure de consacrer du temps de qualité à nos enfants. Mon père disait toujours : « Voyage loin, mais fais-le tant que tu es jeune. » Et il avait raison. Plus récemment, j’ai été heureuse de pouvoir ralentir un peu le rythme, de diriger Lafrance ici au Québec et d’élever nos deux enfants. Le prochain chapitre de ma vie consistera à redonner, à partager mon expertise en tant que leader mondiale et à inspirer la prochaine génération. Nous devons laisser un monde meilleur à nos enfants, et cela se fera en montrant l’exemple tout en étant responsable.