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Rencontrez la femme à la tête du premier fonds de capital de risque dirigé par des Noirs et soutenu par du capital institutionnel au Canada.

Entrevue avec Lise Birikundavyi, directrice et gestionnaire de fonds de Black Innovation Capital.

Lise Birikundavyi

En tant que vice-présidente, Clients – Diversité à BDC, Laura Didyk dirige les efforts de la banque visant à comprendre et à relever les défis auxquels sont confrontés les entrepreneurs sous-représentés et mal desservis, qu’ils soient racialisés, qu’ils s’identifient comme femmes, qu’ils s’identifient comme membres de la communauté LGBTQIA2S+, qu’ils vivent avec un handicap ou qu’ils aient une combinaison de ces identités. Elle présente leurs parcours dans le cadre d’entrevues, et ce mois-ci, elle reçoit Lise Birikundavyi, directrice et gestionnaire de fonds de Black Innovation Capital.

 

Au Canada, moins d’un fonds de capital de risque sur dix est géré par une femme. En ce qui concerne les fonds soutenus par du capital institutionnel, on trouve une seule femme noire aux commandes : il s’agit de Lise Birikundavyi. Elle est directrice et gestionnaire de fonds de Black Innovation Capital, un fonds de capital de risque de 10 millions de dollars, soutenu par BDC Capital et lancé en juin 2021, qui investit dans des entreprises technologiques en démarrage dirigées par des Noirs. 

Avant de prendre la barre de Black Innovation Capital, Lise a travaillé dans le domaine de la finance internationale pour plusieurs institutions. Elle a grandi à Montréal, mais son parcours l’a menée en Argentine, en Chine, au Ghana, en Côte d’Ivoire et à Toronto (ce qui fait en sorte qu’elle puisse s’exprimer en français, en anglais, en espagnol et un peu en mandarin). Au fil de ses études et de sa carrière, elle a orienté son travail vers l’entrepreneuriat social et l’investissement d’impact. 

Lise croit fermement à la possibilité de mettre à profit les forces des marchés de capitaux pour générer une richesse plus inclusive et réduire la pauvreté de façon durable. J’ai rencontré Lise pour en savoir plus sur son impressionnant parcours, qui a abouti au récent lancement de Black Innovation Capital. 

Laura : Vous avez consacré une grande partie de votre carrière à la finance à but social. Quel a été le point de départ de ce cheminement? 

Lise : Tout a commencé lorsque je suis retournée au Burundi pour la première fois, à 18 ans. J’ai grandi à Montréal, mais je suis née là-bas. C’est un pays qui a connu son lot de problèmes, notamment la pauvreté, la guerre civile et les difficultés d’accès à l’éducation. Je ne savais pas à quoi m’attendre en arrivant, mais j’ai été émerveillée par la beauté du pays et l’intelligence de ses habitants. 

J’ai été également frappée par le fait que pour la plupart des gens la réussite passe par le travail dans une organisation internationale. Il y avait très peu d’entreprises locales alors que les opportunités semblaient multiples. Lorsque que je réfléchissais avec amis et cousins sur des compagnies qui pourraient voir le jour et régler certains problèmes, on me répondait souvent « c’est une bonne idée, tu devrais créer cela » ou « Oui, pourquoi tu ne viendrais pas commencer cette initiative? ». Et je me disais toujours : « Mais, je ne vis pas ici, pourquoi ne le faites-vous pas? ». Je me suis rendu compte de fil en aiguille que l’aide humanitaire avait son rôle à jouer, de façon bien involontaire, dans la diminution de l’esprit entrepreneurial.  

“J’ai réalisé qu’il s’agissait là d’une véritable autonomisation, qui soutenait la création de modèles dans différentes sociétés en donnant aux populations vulnérables les moyens de bâtir leurs propres solutions.”

Quelques années plus tard, pendant mon séjour en Argentine, j’ai découvert la notion d’entrepreneuriat social. J’ai lu Comment changer le monde : Les entrepreneurs sociaux et le pouvoir des idées nouvelles de David Bornstein et j’ai commencé à me renseigner sur l’entrepreneuriat et sur la microfinance. Cette idée de pouvoir faire le bien tout en renforçant les capacités et en gagnant de l’argent m’a plu. J’ai réalisé qu’il s’agissait là d’une véritable autonomisation, qui soutenait la création de modèles dans différentes sociétés en donnant aux populations vulnérables les moyens de bâtir leurs propres solutions. Cela aurait ensuite un effet d’entraînement au sein de leurs communautés, sans que personne ne se sente redevable puisque le bénéfice financier serait partagé. 

Laura : C’est génial. Je sais que vous avez commencé votre carrière dans les fonds spéculatifs. Comment vous êtes-vous ensuite orientée vers l’investissement d’impact? 

Lise : J’ai adoré travailler dans le monde des fonds de couverture, mais je savais que je pouvais faire quelque chose de plus, sans pour autant savoir comment accéder au domaine du développement avec cette perspective d’autonomisation. Une amie m’a parlé de l’investissement d’impact, puis j’ai commencé à me joindre à un groupe de femmes du secteur bancaire à Montréal qui organisait régulièrement des événements pour en parler et réfléchir à la façon dont nous pourrions développer ce concept au Canada. 

J’ai décidé de m’engager dans la voie de l’investissement d’impact en m’intéressant aux marchés émergents. J’ai fait mon MBA à Shanghai avec trois objectifs en tête : apprendre le mandarin, créer un réseau solide et mieux comprendre la relation entre la Chine et l’Afrique. Tout ce que j’ai fait là-bas tournait autour de l’investissement d’impact, et j’en ai profité pour élaborer soigneusement mes prochaines actions. 

Au début, je me suis concentrée sur les marchés émergents dans une perspective de développement. L’objectif était de faire en sorte que d’énormes problèmes puissent être résolus en donnant aux gens les moyens de le faire, tout en générant des revenus aux fonds pour lesquels je travaillais à l’époque. 

Laura : Qu’avez-vous fait après votre passage à Shanghai? 

Lise : Je suis revenue en Amérique du Nord. Puis, lorsque je suis tombée enceinte de mon premier fils, j’ai décidé d’aller vivre au Ghana pour y travailler pendant mon congé de maternité. J’avais toujours voulu vivre sur le continent africain et je supposais, naïvement, que je m’ennuierais en restant à la maison avec un bébé. J’étais prête pour une nouvelle aventure et je voulais poursuivre mon travail de sensibilisation. Au Ghana, j’ai appuyé Ingénieurs sans frontières, Canada. Nous avons trouvé une communauté là-bas et ce fut une belle expérience. Nous avons ensuite passé trois ans en Côte d’Ivoire, sur la côte sud de l’Afrique de l’Ouest, où je gérais un fonds de technologies éducatives pour la Jacobs Foundation.

Laura : Et ensuite, vous avez créé Black Innovation Capital. Comment avez-vous eu cette idée?

Lise : Lorsque j’ai décidé de me lancer dans cette aventure avec Isaac Olowolafe pour fonder Black Innovation Capital, cela me semblait similaire au travail que j’avais fait auparavant, bien qu’il s’agisse d’un marché complètement différent. Je travaillais auprès d’une population extrêmement talentueuse qui ne reçoit pas le financement qu’elle devrait, en vue de l’aider à créer de la richesse pouvant être réinvestie au sein de leur communauté. Pour nous, avec le Black Innovation Fund, il ne s’agit pas d’une communauté en opposition à une autre, mais plutôt d’une incitation à une plus grande participation de toutes les communautés au secteur du capital de risque. Il est question de diversité et d’inclusion, et de la contribution de chacun à un meilleur système. 

Le fait que BDC soit devenue notre investisseur principal a eu une contribution importante à la création du fonds. Nous avons apprécié l’expérience et le soutien que nous avons reçus, particulièrement au niveau de l’aide apportée aux nouveaux gestionnaires de fonds. Nous avons officiellement lancé le fonds le 7 juin de cette année et sommes actuellement en train de négocier nos premiers investissements. 

Laura : Quelle est la vision de Black Innovation Capital? Qu’est-ce qui le distingue des autres fonds de capital de risque?

Lise : Nos objectifs sont de contribuer à la création d’entreprises technologiques dirigées par des Noirs, d’offrir un rendement supérieur à nos investisseurs et d’accroître la diversité dans l’écosystème du capital de risque. Globalement, notre thème principal est donc la diversité. 

Toute entreprise dans laquelle nous investissons doit comprendre au moins 25 % d’actionnariat ou de cadres dirigeants noirs et être une entreprise technologique en phase de démarrage. Nous nous attendons à ce que les équipes viennent d’horizons divers, car même au sein des communautés noires, on observe généralement des origines et des perspectives riches et diversifiées. 

“Jusqu’à présent, nous avons constaté une résilience intrinsèque au sein des entreprises que nous examinons. Beaucoup d’entre elles ont eu de la difficulté à trouver des financements et ont dû faire preuve d’une grande créativité pour en arriver là où elles en sont aujourd’hui.”

Jusqu’à présent, nous avons constaté une résilience intrinsèque au sein des entreprises que nous examinons. Beaucoup d’entre elles ont eu de la difficulté à trouver des financements et ont dû faire preuve d’une grande créativité pour en arriver là où elles en sont aujourd’hui. Nous voyons également beaucoup de produits et de services inclusifs, qui résolvent les problèmes sous différents angles et perspectives. Et c’est exactement ce que nous recherchons : des entreprises en démarrage qui font les choses différemment, qui répondent à des besoins qui ne sont pas actuellement satisfaits et qui apportent de sérieuses améliorations à des concepts déjà existants. 

Laura : Alors, le Black Innovation Capital est-il un fonds d’investissement à impact? 

Lise : Pour moi, l’investissement d’impact consiste à faire le bien tout en ayant un retour sur investissement qui soit positif. Bien que Black Innovation Capital ne soit pas à proprement parler un fonds d’impact, il a néanmoins un impact qui me tient à cœur. Je comprends ce que c’est que d’avoir l’impression de devoir travailler plus dur que les autres, de ne pas être évalué selon les mêmes critères et de ne pas avoir le droit à l’erreur. En créant des outils qui aident à la création de richesse ou à l’autonomisation en général, je rêve d’un monde où nous n’aurons pas à avoir de telles conversations avec nos enfants et où la diversité deviendra la norme. Pour moi, c’est ça le véritable impact. 

Laura : Le financement par capital de risque convient-il à tout le monde? Qu’en est-il des autres options pour les entrepreneurs noirs, comme les prêts? 

Lise : C’est formidable de voir émerger davantage de soutien pour les entrepreneurs noirs, comme le Programme de démarrage pour entrepreneur.es noir.es ou le Fonds de prêts pour l’entrepreneuriat des communautés noires. Ces deux programmes offrent un financement et un mentorat, ce qui constitue une combinaison importante pour la croissance d’une entreprise. Le choix entre un programme de ce type, l’octroi de prêts, ou l’investissement en capital de risque dépend vraiment de l’entrepreneur et de son entreprise, car les deux sont assortis de conditions différentes et répondent à des besoins différents. 

Quand notre fonds investit dans une entreprise, nous devenons actionnaires et donc un partenaire d’affaires. Nous nous rendons disponible afin que l’entrepreneur puisse nous appeler  pour obtenir de l’aide lorsqu’elle ne sait pas quelle décision prendre. Nous restons présents sur le long terme car nous sommes des partenaires de croissance et nous assumons le risque avec l’entrepreneur. 

Il est important d’obtenir des conseils pour déterminer quel est le meilleur modèle de financement pour chacun. 

Laura : Nous savons que les entrepreneurs noirs ont de la difficulté à trouver des capitaux et des modèles inspirants. Quels sont, selon vous, les facteurs à l’origine de cette situation et comment envisagez-vous d’y remédier? 

Lise : Les raisons pour lesquelles les entreprises appartenant à des Noirs obtiennent disproportionnellement moins de capitaux sont nombreuses. Il est important de reconnaître que les préjugés inconscients existent dans tous les domaines, y compris dans celui de l’investissement. Les gens ont tendance à faire confiance à des personnes et à des concepts qu’ils connaissent bien, donc ne prennent pas toujours des décisions sur la base de leurs valeurs, de leur expérience ou d’une solide analyse de rentabilité. 

Nous avons également souvent vu des programmes de mentorat qui ne sont pas assortis d’un accès au capital. Or, le succès repose sur la combinaison de ces deux éléments. Nous nous efforçons de résoudre ce problème de mentorat excessif et de sous-investissement. 

“L’objectif est de changer la perspective des jeunes générations et de leur faire voir qu’il leur est possible de faire tout ce à quoi elles aspirent.”

On observe aussi parfois un manque de sensibilisation des entrepreneurs qui ne savent pas où ni comment trouver du soutient. Les communautés d’investissement sont cloisonnées et manquent souvent de diversité. Cela peut entraîner un manque de confiance chez certains entrepreneurs noirs. Même s’ils ont une bonne idée, ils ne croient pas nécessairement qu’elle intéressera d’autres personnes. 

Ainsi, le fait qu’Isaac et moi représentions un homme noir et une femme noire à la tête de cette initiative nous positionne comme un reflet de la population qu’on souhaite servir. L’objectif est de changer la perspective des jeunes générations et de leur faire voir qu’il leur est possible de faire tout ce à quoi elles aspirent. Nous investirons dans des entreprises qui finiront par connaître un franc succès et leurs dirigeants deviendront des modèles de réussite pour leurs communautés.

Laura : Quel conseil donneriez-vous aux femmes noires entrepreneures qui sont confrontées à des obstacles liés leur sexe et à leur race?

Lise : Mon conseil est tout simplement d’oser, de se concentrer sur son objectif et de connaître sa valeur. Beaucoup de femmes noires sont audacieuses, elles n’ont pas peur d’être plus fortes et d’aller là où elles ne devraient pas être. Donc c’est de garder cet esprit car nous n’avons rien à perdre. Je crois que nous devons apprendre à nos filles à s’instruire continuellement, à ne jamais avoir peur d’exprimer une opinion si elle est fondée sur la vérité, même si elle semble impopulaire, et à saisir les possibilités qui se présentent. Ce n’est pas parce que nous avons peu de modèles de réussite qui nous ressemblent dans un certain domaine que nous devons nous imposer des limites. Finalement, ne pas oublier de soutenir les autres tout au long du chemin! 

Laura : Dans cinq ans, qu’envisagez-vous pour le Black Innovation Fund?

Lise : J’aimerais voir beaucoup d’exemples de réussite, pour les entreprises dans lesquelles nous investissons, pour nous-mêmes et, surtout, pour le secteur du capital de risque en général. Nous nous efforçons également de modifier l’optique d’investissement en formant des professionnels noirs dans le domaine de l’investissement qui travailleront dans l’écosystème du capital de risque afin de renforcer la diversité au niveau de la prise de décision. Nous espérons que cette tendance devienne la norme, à la fois dans les entreprises qui recherchent des fonds d’investissement et dans celles qui réalisent ces investissements. Dans cinq ans, j’espère voir des fonds de plus grande taille pour les initiatives dirigées par des personnes issues de communautés diverses dans le domaine du capital-investissement et du capital de risque. J’espère que 15 à 20 ans plus tard, ces fonds n’existeront plus, parce qu’ils ne seront plus nécessaires et que la diversité fera partie du quotidien.